Qui veut casser l’AES ?  Tiken Jah Fakoly ou Amen Jah Cissé ? Une polémique mondiale

par SIKAA JOURNAL

La chanson Actualité Brulante a vite pris une allure politique, défrayant la chronique sur les médias internationaux et les réseaux sociaux. Nous sommes allés rencontrer notre compatriote Jah Cissé pour connaître les dessous de l’affaire. Que de révélations !

Amen, comment as-tu connu Tiken Jah Fakoly?

Tout est parti de la rencontre internationale des Mouvements citoyens initiée par le Mouvement Y’en a marre à Dakar en 2017. Folly Satchivi qui y représentait le Togo m’avait associé en tant qu’artiste engagé. C’est à cette occasion que mon rêve d’avoir un contact personnel avec Tiken s’est réalisé. J’avais quelques années auparavant remixé son titre phare ‘‘Mon pays va mal’’.  Il avait donc déjà entendu parler de moi. J’ai eu son contact et nous avons continué à échanger.

Le morceau qui vous a réunis par la suite a une histoire.

Oui, Actualité Brûlante. Je fais souvent des prestations dans les cabarets, et j’interprète les morceaux de Tiken. 5 ou 6 de ses titres avant mes propres compositions. Après notre rencontre, j’ai commencé à lui envoyer les vidéos de mes prestations live. J’ai même été plus loin en lui demandant son avis sur mes nouveaux projets musicaux. C’est le cas pour Actualité Brûlante ; le titre d’origine était Non à la 5ème République. Quand Tiken a écouté la version brute du morceau, il a vraiment apprécié. Il était en pleine tournée en France, mais il a su trouver du temps pour échanger avec moi. Un rendez-vous a été convenu sur Bamako. Le projet de single devait être réalisé dans l’immédiat. Le travail a démarré en ligne avec les ingénieurs de son. Les musiciens de l’équipe de Tiken, dont plusieurs sont d’ailleurs des Togolais, ont repris le morceau de bout en bout. Vous constaterez l’hymne du Togo au début de la chanson. Le studio Scooty était à la manœuvre. Ceux qui sont du domaine savent le niveau dont il est question. L’idée de base concernait le Togo, Tiken y a apporté la dimension continentale.

Et la polémique n’a pas tardé à éclater par rapport à l’A.E.S. Cela a été dérangeant pour Tiken.

Polémique, oui. Mais que cela ait été un problème pour Tiken, non. Tiken se situe aujourd’hui au-delà de ce genre d’évènements. Il est une icône, immense par son talent et engagement, mais surtout par son impact social. Il a atteint un niveau élevé d’influence dans le cœur des Africains et à travers le monde. Pour l’avoir côtoyé, je peux vous assurer que le monsieur a un état d’esprit inébranlable. C’est un ‘‘commando’’ qui a traversé plus de défis que ça. A chacune de ses sorties en ville, c’est des foules qui se déplacent. Comment peut-on imaginer que Tiken soit opposé à l’A.E.S. ? Il y a quelques jours, il a encore été reçu par le président Ibrahim Traoré du Burkina. Tiken continue d’enchainer les tournées. Il a plus de 250 concerts à donner par an.

Quel est donc le message réel dans le morceau Actualité Brûlante ?

A propos de l’A.E.S., Tiken n’a fait que présenter la vérité. Pour un Rasta, c’est le plus important. Ce n’est pas la 1ère fois qu’un morceau de Tiken provoque des réactions pour ou contre. Tant qu’il continuera de répondre à sa mission musicale et panafricaniste, de telles situations et polémiques ne manqueront pas. Dès le début de sa partie, il a averti : ‘‘Ne gâtez pas l’A.E.S. ! Ne gâtez pas !’’ L’A.E.S. est un des meilleurs acquis du continent aujourd’hui, mais ce n’est pas une raison pour éviter de prendre des précautions et prévenir les dérives. Tous les Africains panafricanistes se sentent solidaires de ces trois pays, et c’est à eux de protéger cette organisation ainsi que les citoyens qui y sont. Une seule tête ne peut tout savoir ni tout faire parfaitement. Les dirigeants de ces pays font leur part. Les artistes, la société civile, les intellectuels sérieux aussi. D’autres pays en dehors du Niger, du Mali et du Burkina ont commencé aussi cette nouvelle forme de résistance, mais il faut rester vigilant, aucun dirigeant authentique ne refuse les critiques lorsqu’elles sont positives et sans arrière-pensées. Le devoir du Rasta est de rappeler à tous que nul n’est au-dessus de la loi, de la morale, du bien, de la justice, pas même un dirigeant éclairé et bien intentionné. L’A.E.S. est notre joyau commun, nous devons le protéger et prévenir les dérives.

Donc l’A.E.S. devrait être un modèle de justice pour le continent ?

Oui. Des gens affirment que les dirigeants de l’A.E.S. devraient avoir la liberté de réprimer violemment toute personne qui serait manipulée de l’extérieur. Cela parait à première vue compréhensible. Mais, comment faire la différence entre ceux qui sont bien intentionnés dans ces pays et ceux qui ne le sont pas, si on permet que la justice soit expéditive, que les lois ne soient plus respectées ? Toute révolution se fait en tenant compte des réalités de son temps. Notre époque exige une autre pratique de ce que certains appellent dictature éclairée. Certes, les dirigeants africains ne doivent plus être passifs, mais ils doivent aussi éviter de donner l’impression de ne plus entendre raison. Nos institutions comme la justice, les médias, les forces de sécurité doivent devenir plus professionnels que jamais.

Quel est donc l’attente de Tiken Jah et d’Amen Cissé vis-à-vis des régimes actuels de transition militaire ?

Ce parcours de l’Afrique, s’il continue d’être conduit avec clairvoyance, honnêteté et discipline, il nous mènera à une unité de conscience sur le continent. Nous pourrons avoir des gouvernements civils qui sauront que désormais, les institutions sont fermement positionnées du côté de l’intérêt général. 

Qu’en est-il du Togo dans la chanson ?

Le thème général du morceau a permis de toucher les principaux pays africains qui connaissent des situations préoccupantes. Au départ, il était centré sur la question de la 5ème République dans notre pays. Nous pensons que face à un changement si important pour l’avenir d’un pays, le minimum aurait été de consulter le peuple par référendum. Ça aurait montré du respect pour la volonté du citoyen.

Que représente Tiken Jah Fakoly aujourd’hui ?

L’homme qu’il est ne s’inscrit plus dans la logique de l’espoir, ni du hasard. Pour lui, seuls comptent la responsabilité et le travail des Africains pour libérer le continent et assurer son développement. C’est une dimension impressionnante. Comme tous les Rastas authentiques de ce niveau, Tiken est un homme de principe. Impossible de lui manquer de respect. Il a compris l’essentiel et est dans une mission. C’est lui qui a tenu la flamme du Reggae et de la conscientisation au moment où il y a eu embrigadement de la liberté de pensée et de parole. Réécoutez tous ses albums et remettez-les dans le contexte des années. Aujourd’hui, on n’évalue peut-être pas assez ce que sa musique a apporté comme préparation au mouvement de nouveau réveil de l’Afrique. On n’a plus du temps à perdre.

Quel avantage as-tu tiré de cette collaboration ?

Des commentaires disent que l’artiste togolais Jah Cissé n’a rien tiré comme intérêt du boucan que le morceau a suscité. Détrompez-vous, la collaboration entre Tiken en moi a été très bien ficelée. Ça a été du professionnel sur tous les plans. Mon nom a été porté partout en Afrique et au-delà en quelques semaines par ce morceau et le clip. Des millions de vues, des partages, des relais dans les émissions. C’est une communication exceptionnelle pour moi. Un single est en préparation et l’album suivra. Le projet est soutenu par Tiken. Il sera réalisé dans le même studio à Bamako. Ce sera un album à la fois politique, citoyen et social. Le nom Amen Jah Cissé est déjà porté haut grâce à l’aura de Tiken. L’album profitera de cet ascenseur. Je n’ai pas bénéficié seul de cette collaboration. Tous les musiciens à Lomé qui ont participé à la composition de la version originale ont été déclarés à la SACEM, l’équivalent du BUTODRA en France. Vous savez ce que cela implique.

Ton mot de fin.

Merci à l’aîné Tiken Jah Fakoly, il est un leader. Merci à Sikaa, le Journal de la bonne humeur. Une anecdote tout de même pour finir. Nous étions au studio, tout était parfait, Tiken avait posé et c’était mon tour.

Quand je suis rentré dans la cabine, devant le micro, j’ai poussé la voix mais aucun son n’est sorti. C’était la première fois qu’une telle chose m’arrivait. J’ai tout tenté, mais rien. J’ai dû rentrer à Lomé, attendre des jours, et quand finalement c’était possible, j’ai effectué mon enregistrement dans un studio sur place et envoyer les données brutes par mail pour le mastering à Bamako. Chose étonnante, la tonalité de ma voix lors de cette prise s’est révélée assez proche de celle de Tiken, ce qui donnait plus d’harmonie. Le gbass, hmm… Faites confiance à la vie.   

      Séli Yao

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